souche sarcophage - anastomose - greffe naturelle - végétaux soudés -

 

2022-001 LA VÉRITABLE HISTOIRE DE LA SOUCHE SARCOPHAGE

 

Une découverte étonnante.

 
Ma première rencontre avec cette curiosité végétale, remonte à quelles décennies alors que je visite une ferme-musée dans les Vosges. Installée dans une ancienne ferme au Faing de Sainte-Marguerite, ce musée conserve et fait revivre traditions, savoir-faire et objets de la vie campagnarde d'autrefois. (LIEN) 🔺 fermé pour rénovation !
Au milieu d'un bric-à-brac d'objets anciens, deux boîtes à sel en bois attirent mon attention. Elles sont faites dans une sorte de bûche creusée, dont l'extrémité présente une sorte de bourrelet cicatriciel, comme il est possible d'en rencontrer sur les arbres dont les branches ont été taillées, il y a fort longtemps. Équipées d'un couvercle et d'un système de fixation elles permettent de garder le sel à l'abri de la poussière juste à côté de la cheminée où cuit le repas.
 
Bourrelet cicatriciel sur une branche proprement taillée


Des boîtes à sel conçues à partir de souches sarcophages.

 
Ces boîtes sont présentées à la ferme de La Soyotte.
 



Marie-Thérèse Bernard (morte en 2020)  présidente de la Soyotte avait bien voulu mettre à ma disposition les photos de la boîte à sel illustrant cet article.

À l'origine, il y a l'arbre.

 
Les arbres se divisent en deux groupes principaux, les Gymnospermes appelés plus communément les résineux ou conifères en raison de leur capacité à produire de la résine et des graines enfermées dans des cônes .

Un résineux ou conifère le Pin sylvestre

Les autres arbres appartiennent aux Angiospermes appelés communément les feuillus.

Un feuillu Le Chêne rouvre ou Chêne sessile

Une forêt ne peut vivre sans l'action de l'Homme !  FAUX

 
J'aimerais tout d'abord apporter un complément d'information aux lecteurs concernant la vie des forêts. La forêt apparaît, il y a 350 millions d'années durant la période dite du carbonifère, les conifères précèdent les feuillus de 200 millions d'années. La présence de l'Homme semble attestée aux environs de 2,5 millions d'années.
Ces quelques chiffres suffisent, à mon sens, à réfuter l'idée d'une quelconque utilité de l'Homme en forêt.
Au sujet de ce que doit être une forêt, il existe deux visions totalement opposées, celle du forestier gestionnaire et celle du naturaliste. Le premier voit dans l'arbre, du bois d’œuvre et de l'argent, le second une création de la nature avec son cortège d'animaux de plantes de micro-organismes, de champignons, etc.
La forêt n'a pas besoin des Hommes pour vivre, se développer et prospérer .
La meilleure façon de protéger une forêt et les arbres qu'elle renferme est de rien faire !
Ne dites pas : Une forêt ne peut vivre sans l'action de l'Homme
Dites : Une forêt avec laquelle nous voulons faire beaucoup d'argent doit être entretenue par l'Homme.
👉 Bon à savoir : la plus grande partie des souches sarcophages, si ce n'est la totalité, est observée  dans des forêts gérées par l'Homme, c'est-à-dire des forêts où ont eu lieu des coupes de bois.


Que se passe-t-il lorsqu'un arbre est abattu par un bûcheron ou la tempête ? 

 
Certains feuillus ont la particularité de rejeter de souche, c'est-à-dire qu'une fois l'arbre coupé, des bourgeons proventifs ou  adventifs se développent respectivement, au niveau de l'écorce en place sur la souche, ou au niveau de la cicatrice laissée par la coupe de l'arbre.
 
Rejets de souche issus de bourgeons proventifs sur Robinier faux-acacia


Différences entre bourgeons proventifs et bourgeons adventifs.



Les bourgeons dormants situés sous l'écorce donnent des rejets avec leurs propres racines, il faut toutefois qu'ils reçoivent suffisamment de lumière pour se développer. Les bourgeons adventifs se développent sur le pourtour de la cicatrice provoquée par le bûcheron. Ces rejets dépendent étroitement du système racinaire de l'arbre coupé, autrement dit de la souche.
Nota. Ces rejets fréquents chez les feuillus le sont beaucoup moins chez les résineux. Les Cyprès (sp) les Thuyas (sp) et les Ifs communs font partie de ces résineux rejetant de souche.
 
Feuillage et fruits de l'If commun

Les souches donnent toujours naissance à de nouveaux arbres ?

 
Non, toutes les souches ne rejettent pas comme nous venons de le voir et ne donnent pas naissance à de nouveaux arbres, mais elles sont d'une grande utilité pour le sol forestier et pour les animaux.
 
À titre d'exemple voici deux souches servant de frottoir à des sangliers. 

 

Cette autre est utilisée par les Fourmis des bois pour y installer leur nid.


Celle-ci offre le gîte et le couvert à des champignons ( saprophytes ou lignivores).
 
 

Les souches jouent également un rôle considérable sur les sols.


Il faut noter que cette dernière action des racines se prolonge bien après la mort de l'arbre. Quand les racines ont disparu, les cavités où elles étaient logées subsistent sous forme de tubulures qui ne se colmatent, que progressivement et parfois même se cimentent. C'est particulièrement vrai pour des espèces dont l'écorce des racines est très résistante, comme le chêne, le bouleau, le tremble. Ces tubulures assurent une bonne aération du sol et sont disponibles pour une utilisation soit par la faune du sol, soit par de nouveaux arbres dont les racines s'enfoncent plus aisément en profitant des pistes déjà tracées. On a constaté à ce propos que certains arbres à enracinement très profond comme le pin, le chêne pouvaient jouer le rôle de pionniers en préparant l'installation d'autres arbres dont les possibilités d'enfoncement sont moins grandes. On a constaté ainsi que dans le Bramwald, selon J. Krahl Urban sur des sols engorgés, les pistes ouvertes par les racines des chênes étaient utilisées par les autres espèces. Les épicéas eux-mêmes, dont l'enracinement reste généralement superficiel, profitent de ce moyen pour pénétrer plus profondément dans le sol
Source: Le rôle géomorphologique des racines des arbres forestiers.  Les actions mécaniques Jean-Claude Bonnefont éditions Persée https://www.persee.fr/doc/rgest_0035-3213_1978_num_18_4_1457


Le système racinaire.

 
Les racines occupent bien souvent plus d'espace que la partie aérienne de l'arbre, j'en veux pour preuve ces excellents documents qui viennent d'être mis en ligne.
Ce travail colossal est le fruit d'une équipe de recherche conduite par  Lore Kutschera (1917-2008) Cette collection contient 1180 dessins, résultat de 40 ans de fouilles du système racinaire en Europe, principalement en Autriche.
 
Système racinaire d'un Sapin blanc ou Sapin des Vosges Abies alba

 
Système racinaire d'un Sapin blanc ou Sapin des Vosges Abies alba

La totalité de la banque d'images des systèmes racinaires est disponible en suivant ce [LIEN]

Étude du système racinaire.

 
L'étude des systèmes racinaires des arbres pose un certain nombre de problèmes techniques.Il est certes fréquent d'observer des racines comme chacun peut le faire à l'occasion de l'extraction d'une souche ou lorsqu'un arbre est déraciné par un chablis ou encore le long de la paroi rocheuse d'une carrière. Mais il s'agit alors d'un ensemble incomplet, car mutilé, ne permettant généralement pas de voir les rapports intimes qui existent entre les différentes parties de l'appareil racinaire et les différents horizons du sol. Souvent, lors de ces examens, on a tendance à sous-estimer l'importance des racines les plus fines, essentielles cependant pour la nutrition de l'arbre, soit parce qu'elles ont été arrachées, soit parce qu'elles ont séché après la mise à nu de la souche. Les méthodes qui autorisent l'observation in situ d'un appareil racinaire supposent des excavations considérables et la mise en place de parois vitrées. Elles sont très coûteuses à mettre en œuvre et réservées à un petit nombre de laboratoires spécialisés sur lesquels les géographes sont obligés de s'appuyer. Relativement faciles dans un sol meuble, où l'arbre peut étaler régulièrement ses racines et où le déracinement est relativement aisé, les observations deviennent bien plus ardues en roche dure compacte. L'appareil racinaire d'un arbre est constitué par une combinaison de racines verticales, obliques et horizontales. Les racines verticales sont souvent de grosses racines, prolongeant le tronc dans le sol : on les appelle racines pivotantes. Il existe aussi des racines verticales plus petites se branchant sur les racines latérales. La pénétration de ces racines verticales est généralement de plusieurs mètres, parfois plusieurs dizaines de mètres dans des régions sèches où l'arbre doit puiser l'eau très profondément dans le sol. Les racines obliques se disposent en couronne à partir de la souche et pénètrent en suivant les génératrices d'un cône. Les racines horizontales enfin courent latéralement à fleur du sol ou à faible profondeur ; ce sont celles que l'on peut observer le plus couramment en forêt, surtout quand l'érosion du sol tend à les découvrir. On constate que ces dernières se prolongent à plusieurs mètres de distance de l'arbre auquel elles appartiennent, pour entrer en concurrence et se mêler parfois avec les racines des arbres voisins. L'aire occupée par les racines dépasse en règle générale la projection de la couronne de l'arbre sur le sol.
Source : Le rôle géomorphologique des racines des arbres forestiers.  Les actions mécaniques Jean-Claude Bonnefont éditions Persée https://www.persee.fr/doc/rgest_0035-3213_1978_num_18_4_1457


Comment se forme le sarcophage sur la souche ?

 
Après la coupe d'un arbre, la formation de la souche sarcophage est étroitement liée à la présence :
- d'un important réseau racinaire ;
- d'un peuplement dense d'arbres de même espèce.
Ces conditions idéales sont réunies dans cet alignement dense de Sapin de Douglas Pseudotsuga menziesii. (à droite de l'image)
 

La nature a horreur du vide, le sol des forêts ne fait pas exception à cette règle. Les racines des arbres occupent l'espace souterrain, elles  se croisent, se chevauchent, s’entremêlent, se soudent et parfois se greffent au hasard des rencontres. Lorsqu'une fusion, physique et fonctionnelle des organes de deux végétaux de même espèce, se produit par les racines les branches ou le tronc  nous sommes en présence d'une anastomose
Dans le cas d'une haie plessée par exemple le forestier favorise par des coupes savantes et organisées ces anastomoses.
 
Haie plessée Source image : https://www.hedgelaying.org.uk/

La haie peut devenir un seul et même organisme vivant si les essences forestières utilisées sont identiques.   
Ce phénomène naturel est également observé sur les racines affleurantes des résineux.
Les anastomoses sont très fréquentes sur les Hêtres tortillards au niveau des troncs et des branches. Comme ici en forêt de Verzy.
 

La fréquence et l'importance de l'anastomose racinaire sont largement sous-estimées par les gestionnaires dans la vie des forêts et des alignements d'arbres.


A quel moment les racines se soudent-elles ?

 

Le phénomène d'anastomose se produit lorsque des racines (même espèce) sont au contact et fortement comprimées les unes contre les autres. L'anastomose peut être observée sur les racines d'un même arbre ou sur des racines provenant d'arbres différents (mais de même espèce).
 


Y-a-t-il une interdépendance entre les arbres ?

 
Chaque jour, nous en apprenons un peu plus sur la vie des arbres. Comment aurions-nous pu imaginer que les arbres sont capables de communiquer entre eux ?
Communication par les  réseaux souterrains de champignons, communication à l'aide  d'impulsions électriques, communication par émissions de gaz, etc.
Interdépendance une fois la greffe établie.
Une fois la prise de greffe effective, nous pouvons estimer qu'il y a une interdépendance entre les arbres.
Un ou plusieurs arbres, pourraient-ils alors former un seul organisme ?
c'est probable.
Deux arbres ainsi réunis réagissent :
- aux agressions d'insectes xylophages ;
- aux invasions d'insectes défoliateurs ;
- aux attaques de champignons parasites ;
- aux agents atmosphériques ;
- aux offensives des polluants atmosphériques ;
et aux agressions mécaniques.
 

La mort d'un voisin anastomosé entraîne-t-elle une réaction ?

 
Deux arbres intimement liés par leurs greffes souterraines réagiront de concert en cas d'agression.
Si un des deux arbres est abattu, la cicatrice provoquée par la tronçonneuse sera enregistrée comme une plaie, l'arbre restant sur pied commencera alors un long travail de cicatrisation.
Et voilà comment naît la Souche Sarcophage !


Les différentes étapes du développement de la souche sarcophage. 

 
Début de formation d'une souche sarcophage sur un Sapin de Douglas





 
 

 

Voyage sous la surface de la terre.

Une fois la couche de terre végétale enlevée la greffe entre les racines est bien visible.
 
 





Les apparences sont parfois trompeuses.

Cette souche moribonde est pourtant bien vivante du moins le sarcophage qui s’apprête à recouvrir le tronc pourrissant !
 
 

Les souches sarcophages sont principalement observées chez les résineux. Les souches sarcophages présentées dans cet article proviennent d'un résineux le Sapin de Douglas.

Reconnaître le Sapin de Douglas.

 
Branche froissée au doux parfum citronnée, petite langue sortant des écailles aident à l'identification

Originaire de l'ouest de l'Amérique du Nord il est Introduit en Europe en  1827 par un Écossais, Dadid Douglas, il existe plusieurs variétés ayant des besoins différents. La variété menziesii a été largement plantée en France à partir de 1842. C'est un arbre atteignant de très grandes hauteurs là où il se plait. C'est le cas des Douglas verts ou Sapin de Douglas Pseudotsuga menziesii de la Rolle en forêt domaniale de Guebwiller. Ces Douglas ont été plantés en 1891 par des ouviers forestiers et une équipe de chasseurs élèves gardes allemands, cette partie de l'Alsace était alors annexée par le tout nouvel empire Allemand.
 
 
"Le bouquet comporte encore 15 arbres dont le plus grand a maintenant dépassé les 57 m. Leurs cimes sont belles, et l’accroissement annuel moyen des cinq dernières années est de 23 cm pour les cinq arbres mesurés deux fois". Source : G Colin ICGREF Nancy. 
 
Le "bouquet" de Douglas est bien visible vu du ciel

Le sapin de Douglas a fait l'objet de nombreuses introductions  à partir de 1842, il est devenu un produit tout à fait essentiel dans la filière du bois. 
 
Un Douglas de la Rolle


La Hulotte et les souches sarcophages.

La Hulotte a sorti un numéro (N°88) où il est fait mention de ce curieux phénomène.
 
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Je profite de la publication de cet article pour vous présenter mes meilleurs vœux pour 2022
Jean-Paul





6 commentaires:

  1. Merci beaucoup. Je me doute du travail que cela représente. C'est extrêmement intéressant.

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  2. Merci beaucoup, c'est extrêmement intéressant et je me doute du temps que cela exige.

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  3. Merci beaucoup. Je me doute du travail que cela représente. C'est extrêmement intéressant.

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  4. Bonsoir Jean-François merci pour votre compliment. Bien cordialement. Jipé

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  5. Super article Jean-Paul, j'ai une nouvelle fois beaucoup appris sur ces souches sarcophages maintenant je pense que je vais beaucoup plus m'attarder déçu et en même temps je me dirait tient ces Jean-Paul qui ma appris tous cela ;-). J'adores les images des souches sarcophages sur les pins surtout celle ou il y a de la glace. Au plaisir de te relire Amitié ...

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  6. Merci Ludovic pour ton très aimable commentaire bien amicalement à toi aussi Jipé

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